Homélie du Père WINTZER, archevêque

Homélie de Mgr Pascal Wintzer pour les 50 ans de l’église Saint-Cyprien

Ce samedi et ce dimanche, il m’est donné de célébrer dans trois lieux différents du diocèse et d’y entendre les mêmes textes liturgiques.
Samedi à Curzay-sur-Vonne, à l’occasion de la restauration des vitraux et du mobilier de l’église ; dimanche à l’église Saint-Cyprien de Poitiers pour les cinquante ans de sa consécration ; et ce même dimanche, l’après-midi, à Migné-Auxances, pour le jubilé de vie religieuse de plusieurs religieuses de Salvert et le jubilé d’ordination de deux prêtres.
Je ne dis pas cela pour vous faire part de mon agenda, il n’a rien d’exceptionnel, beaucoup d’entre vous devez aussi additionner des choses différentes en peu de temps ; mais ces quelques faits montrent au moins deux choses, et c’est ce que je veux souligner.

D’abord, l’Evangile rejoint des événements bien différents de nos vies, par exemple ces événements que je viens d’énumérer.

Mais c’est aussi ce que nous vivons au travers de la célébration des sacrements et des prières chrétiennes, c’est la présence et l’action de Dieu dans les joies et dans les épreuves de nos vies, depuis la naissance jusqu’à la mort.
Toutes ces différences, elles sont sur un agenda, mais elles sont aussi chacune de nos vies.
Lorsque nous sommes rassemblés pour la prière commune, elles sont très diverses les choses qui occupent notre esprit.
Depuis les plus futiles – lorsqu’il n’y avait pas de programmation sur les cuisinières, on craignait qu’une messe trop longue retardât le moment de mettre le rôti au four – jusqu’aux plus importantes : un problème de santé chez nous ou un proche, une dissension familiale, un chômage qui dure. Et bien entendu des choses heureuses, une naissance attendue, un succès, que sais-je encore.
Comment tout cela n’occuperait-il pas notre esprit ; et surtout, faut-il que cela disparaisse lorsque nous entrons à l’église ?
Bien sûr que non, c’est avec tout ce que nous sommes, tout ce qui fait notre vie, que nous allons vers le Seigneur, et nous croyons qu’il vient nous rencontrer tel que nous sommes.
Voici cette première chose que je souligne ; une seconde elle désigne le risque que nous courons, celui de ne jamais pouvoir faire vraiment attention les uns aux autres.
Préoccupés par tant de choses, nous pouvons d’abord n’avoir aucune liberté d’esprit pour écouter autre chose que ce qui nous préoccupe ; et surtout, et c’est ce qui me semble plus grave, nous pouvons refuser, plus ou moins volontairement, de sortir de ce que nous sommes et de nos propres attentes.
Ceci marque notre rapport à la société, en particulier aux autorités politiques. Par exemple, beaucoup voudraient bien voir leurs impôts diminuer, voire disparaître, et en même temps ne rien perdre des avantages qu’offre notre pays, en matière de santé, de transports, de droits divers et multiples.
Ou encore, tout le monde veut bénéficier d’une autoroute ou d’une ligne TGV, mais surtout, il ne faut qu’aucune des deux ne passe au fond de son jardin.
« Not in my backyard ! » Disent les anglo-saxons.

Peut-il en être autrement de ce que nous attendons de Dieu et de l’Eglise ?
Trop souvent, nous risquons de nous faire un Dieu à notre mesure, un Dieu qui pourvoit, de manière magique, à nos attentes et à nos besoins.
Et comme ça ne marche pas, parce qu’en effet ça ne marche pas et heureusement, nous cherchons un autre dieu plus efficace, et comme on ne le trouve pas non plus, on se détourne de toute religion.
Beaucoup connaissent la phrase célèbre du Président Kennedy, assassiné il y a 51 ans : « Ne te demande pas ce que l’Amérique peut faire pour toi, demande-toi ce que tu peux faire pour l’Amérique ».
J’entends dans cet appel un encouragement à reconnaître les capacités dont dispose chacun d’entre nous.
Et cette phrase souligne aussi le rôle de tout éducateur, celui qui consiste à aider un enfant, un jeune, voire un adulte, à prendre conscience de ses richesses et de celles qu’il peut mettre en oeuvre.
Hélas, parfois des vies ont été détruites, parce qu’un adulte aura dit à un enfant, même simplement en passant et pour des choses de peu d’importance : « tu es nul ».
Dans les textes que la Bible nous donne d’entendre aujourd’hui, j’entends de tels encouragements.
Et n’est-ce pas un des mots qu’emploie le plus souvent le Seigneur Jésus ? C’est l’impératif : « Va ». Qui est aussi le mot le plus court de la lange latine, une seule lettre : « i ».
Le prophète Isaïe et l’Evangile nous montrent comment Dieu admire la vigne qu’il a plantée et comment il en prend soin.
Notre monde, chacune de nos vies, est cette belle vigne, qui porte de beaux et bons fruits ; et, comme toute vigne, qui n’a pas sa fin en elle-même, mais qui sert à produire un vin qui fera la joie de beaucoup de personnes.
Hier, mais surtout aujourd’hui, en raison d’une actualité pas toujours facile ni joyeuse, nous avons besoin d’être encouragés, confortés, dans nos capacités à vivre et nos capacités à prendre des engagements.
Il est si facile de dénigrer ceux qui agissent, à commencer par les hommes et femmes politiques. Or, à quoi cela conduit-il ? Sinon à détourner beaucoup de personnes de prendre des engagements dans ces domaines.
N’est-ce pas un peu la même chose pour l’Eglise ?
Sans verser dans la flagornerie, c’est à la mesure où nous tiendrons, publiquement, et à la table familiale, des propos positifs et encourageants, sur les prêtres, les religieuses, les diacres, les laïcs qui exercent des responsabilités, que d’autres, des enfants et des jeunes en particulier, pourront envisager ce chemin comme positif et désirable pour eux.
Il me semble – mais je n’ai pas d’enfant alors je demeure prudent en disant cela – que les enfants devraient toujours entendre les adultes parler d’autres adultes de manière seulement positive.
Cela ne veut pas dire pour autant que nous, adultes, devions tout approuver et tout encourager, mais il y a des choses qui ne regardent pas les enfants.
Par exemple, je dois vous dire que je suis choqué lorsque je vois des enfants embarqués dans des manifestations publiques, et chanter ou crier des slogans. Et cela quelle que soit la cause.
C’est vrai, certains pourraient me dire : « De quoi vous mêlez-vous ? Vous n’avez pas d’enfant ! »
Je reconnais que je ne puis pas totalement leur donner tort, mais je m’interroge quand même sur ces comportements.

Bref, croyez-le bien, si la gratitude et l’encouragement sont ce que nous voulons, choisissons de les faire passer en premier, cela provoquera des changements en nous, et autour de nous.
Le premier appel de saint Paul dans la lettre aux Ephésiens aujourd’hui est celui-ci : « Ne soyez inquiets de rien ». Que dire de plus ? Quel meilleur programme pour une vie réussie ?

Enfin, pour revenir à cette belle image de la vigne, je remarque que les textes ne parlent de celle-ci qu’au singulier.

Or, je le disais en commençant, nous risquons de n’avoir pour unique préoccupation que notre petit lopin de terre, notre petite parcelle, que la treille qui n’a pour but que de satisfaire nos intérêts et nos proches ?
A la fois dans la société, mais aussi dans l’Eglise. Au lieu de nous savoir une seule humanité, et pour nous un unique Corps du Christ, nous identifions ce que doit être la société, et aussi l’Eglise, à ce que nous en vivons, au groupe auquel nous appartenons, aux options qui sont les nôtres.
Dans ce cas-là, la vigne du voisin en vient à nous gêner. Que fait-on alors ? Ou bien on se l’approprie, ou bien on s’en protège par toutes sortes de murs et de barbelés.
Face à cela, un seul chemin, celui de la gratitude, celui que donne saint Paul : « Ne soyez inquiets de rien ».

A la mesure où nous aurons su découvrir le bon qu’il y a dans chacune de nos vies, la vie des autres ne nous saura en rien une menace, mais plutôt un bienfait.

Croyez que c’est vraiment ce que je souhaite à chacune et à chacun, la paix pour soi-même. C’est lorsque nous sommes en paix en notre coeur que nos relations avec les autres le sont aussi.

+ Mgr Pascal Wintzer

Archevêque de Poitiers